La télé-réalité en France a connu ses heures de gloire pendant la décennie 2010, enchaînant les nouveaux formats et la découverte de personnalités toujours plus extravagantes. Mais l’ère post Me Too a comme dans de nombreux domaines fait éclore les nombreux problèmes qui gangrènent le milieu. La fin d’une omerta qui pourrait peut-être faire trembler en profondeur un milieu régi par l’argent et la gloire faciles.
"J'ai décidé aujourd'hui d'arrêter, j'ai vu ce que j'avais à voir. Je ne peux juste plus continuer, je suis épuisée, écoeurée, dépitée, horrifiée, tétanisée, consternée et j'en passe. R.I.P ce soir pour Preston ainsi qu'Aurélie, ne jugez pas mon choix, la douleur est personnelle. Et s'il vous plaît, évitez le 'elle avait tout pour elle'. Vous n'imaginez pas d'où je reviens.” Écrire ses derniers mots sur les réseaux sociaux, ici dans une publication Instagram, c’est ce qu’avait choisi de faire le 3 octobre dernier Aurélie Preston, candidate de télé-réalité révélée dans l’émission Les Anges de la télé-réalité. Une tentative de suicide qui s’est heureusement “bien” terminée, après une assistance portée à la jeune femme dans de brefs délais.
Le calvaire vécu par la candidate n’est pas dû qu’à sa participation dans des émissions de télé-réalité, mais cette médiatisation, saupoudrée de harcèlement puis de cyberharcèlement n’a fait qu’accentuer les tourments d’Aurélie Preston. A l’époque, la montpelliéraine participe à sa troisième émission, avec la saison 8 des Anges de la télé-réalité. Son objectif ? Faire carrière dans la musique en tant que chanteuse. Mais Aurélie Preston va rapidement se confronter à plus fort (et médiatique) qu’elle. Elle fait alors face à plusieurs figures du milieu qui vont rapidement la prendre en grippe: Sarah Fraisou, Nehuda ainsi que Ricardo Pinto. Des seaux d’urine jetés sur elle, son lit jeté par la fenêtre et atterrissant dans la piscine, sans compter les nombreuses insultes et moqueries: Aurélie Preston vit alors un enfer, le tout sous l'œil des caméras et de la production.
Enquêtes en série
Aucune sanction ne sera prise. Et ce n’est que 6 ans plus tard qu’une enquête sera enfin ouverte envers l’émission. Cet épisode n’est toutefois qu’une infirme partie du feuilleton harcèlement au sein de la télé-réalité. Depuis plusieurs mois, un #MeToo du milieu a lieu, avec son lot de témoignages forts, tragiques mais qui peinent toutefois à se faire entendre de tous, notamment des productions et des agences, qui semblent détourner le regard. Mais c’était sans compter les accusations plus graves qui allaient peu à peu déferler dans le monde de la télé-réalité. D’abord, en avril 2021, où plusieurs candidates de télé-réalité se sont réunies pour un live Instagram, invitant les téléspectateurs à boycotter Les Anges. Les cinq candidates ont tour à tour livré leurs expériences peu glorifiantes au sein du programme et leurs rapports houleux avec la production, qui les forçaient à s’exhiber ou à se rapprocher de garçons de la villa.
Les accusations plus graves et plus médiatisées arriveront cependant quelques mois plus tard. Une autre candidate, Alix Desmoineaux, affirme lors d’une interview reprise maintes fois sur les réseaux sociaux, qu’un candidat “toujours actif en télévision” serait à l’origine de plusieurs agressions sexuelles, et qui n’est autre qu’Illan Castronovo, bien connu des téléspectateurs de W9 ou NR12. A coup de stories Instagram interposées, notamment de la part du jeune homme, les accusations vont alors bon train et plusieurs plaintes pour diffamation sont déposées. À Nice, une enquête préliminaire a été ouverte en décembre 2021 après le signalement d'un ex-candidat qui, selon son avocate, accuse Illan Castronovo de viol et agression sexuelle sur un tiers. Rebelote en décembre 2022, où une information judiciaire est ouverte par le juge d’instruction de Blois à la suite de deux plaintes contre X pour des viols commis en 2018 où Illan Castronovo, mais également Julien Bert (autre figure de la télé-réalité) apparaissent.
Un fond de commerce bien ancré
Car après des années à faire du sexisme leur fond de commerce, peu de doutes subsistaient quant aux dérives générées par les émissions de télé-réalité. Et dans les lives évoqués plus tôt, qui ont permis à certaines candidates de balancer toutes les coulisses du milieu, les accusations ne concernent pas uniquement les candidats, mais aussi les équipes de production des émissions. « Ce qui m'a choquée, c'est ce qu'on nous a dit pour nous briefer avant de rentrer dans l'aventure. On nous a dit mot pour mot : "Bon bah les filles, les mecs n'en peuvent plus. Ils sont à l'hôtel, ils vont exploser. Vous êtes à deux doigts de vous prendre une giclée de sperme au visage"», explique par exemple Angèle Salentino, candidate entre autres de la quatrième saison des Vacances des Anges.
Pour qui connaît un peu les émissions de ce genre sait à quel point les histoires d’amour sont à chaque saison au cœur des aventures, souvent montées de toutes pièces par la production. Un processus qui plaît aux téléspectateurs et génère du buzz, du clash, des histoires qui se suivent et se ressemblent. Le tout participe ainsi au “feuilletonnage” des émissions. Les profils de candidats, même s’ils sont problématiques sont ainsi gardés au casting pour perpétuer ces histoires et offrir aux téléspectateurs ce qu’ils attendent, avec en ligne de mire, les bonnes audiences et les reprises sur les réseaux sociaux des disputes les plus fracassantes.
Le public enfin lassé ?
Mais le public tend toutefois aujourd’hui à comprendre de plus en plus les travers des chaînes et sociétés de production. Lors de l’une des vidéos en direct d’Angèle Salentino, le compte officiel de la chaîne NRJ12 (ou plutôt le community manager qui n’avait pas pensé à basculer sur son compte Instagram personnel) avait commenté le live, indiquant “Moi je ne comprends pas. Vous avez pris l’argent et maintenant vous criez au scandale ?”. Un message qui n’était pas bien passé.
Et en témoignent les audiences toujours plus en baisse des différentes grandes marques de télé-réalité (voir infographie ci-dessous), pour peu qu’elles n’aient pas été arrêtées entre-temps, ce type de programme est en déclin. Aucune télé-réalité quotidienne actuelle ne dépasse aujourd’hui le million de téléspectateurs, et il est même difficile aujourd’hui d’en trouver une qui frôle les 500.000 aficionados.
Le ras-le-bol général des téléspectateurs semble plus à mettre en évidence qu’une réelle remise en question des boîtes de productions, qui n’en ont pas fini avec le genre. Même si les chaînes de télévision classiques ont levé le pas sur les nouveaux formats et nouvelles saisons, les services de streaming ont décidé de prendre le relais. Amazon Prime Video a dévoilé début janvier Cosmic Love, une nouvelle télé-réalité basée sur l’astrologie ; et Netflix tourne actuellement une adaptation télé-réalité de sa série phénomène Squid Game. La preuve que la télé-réalité, malgré toutes les dérives, n’a pas dit son dernier mot.
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