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Retour vers le futur: quand la nostalgie rapporte gros

Que ce soit à la télévision, pour les sorties ou dans nos produits du quotidien, l’appel de la nostalgie se fait aujourd’hui de plus en plus insistant. Les entreprises en profitent, conscientes du business créé autour de cette émotion qui touche toutes les générations.

En ce 7 novembre 2022, des centaines de personnes sont amassées sur les trottoirs et la chaussée aux abords du mythique Grand Rex. La scène est habituelle pour ce cinéma parisien qui accueille régulièrement avant-premières de blockbusters. Ce soir-là, c’est le deuxième opus de Black Panther qui s’offre une séance prémisse. Mais aucune des stars du film Marvel ne sera présente ce soir là. Les personnes patientant dans le léger froid d’automne sont là pour voir les candidats de la Star Academy version 2.0, qui font leur première sortie officielle en dehors du fameux château.


Pancartes à la main et déjà prêts à hurler noms et chansons, certains fans sont là depuis déjà plusieurs heures quand le car rouge tant attendu se gare devant le bâtiment. A leur arrivée, Chris, Léa ou Tiana, stars du programme, créent l’émeute et peinent à réaliser dans quelle dimension ils sont désormais.


Car ce phénomène télévisuel qu’est le retour de la Star Academy était difficilement prévisible quelques mois plus tôt : les succès d’antan peuvent devenir les échecs d’aujourd’hui. Pourtant la Star Academy a rempli ses promesses : records d’audience à la chaîne et un rendez-vous installé dans les foyers français pendant plusieurs semaines à la télévision. En moyenne, 1.76 millions de personnes étaient devant chaque quotidienne avec 36% de part d’audience chez les FRDA-50 (cible prioritaire de la chaîne).


Sur cette case, le télé-crochet a notamment battu des records d’audience sur cibles qui étaient restés inégalés depuis 2009, voire 2006 (hors sport). Le live 24h/24h sur MyTF1, la plateforme en ligne de TF1, fait aussi les affaires de la première chaîne avec plusieurs milliers de nouveaux abonnés, prêts à payer 3.99 euros par mois pour voir leurs candidats préférés du lever au coucher. Le groupe n’a toutefois pas communiqué sur le nombre d’abonnés exact de sa plateforme pendant les six semaines d’aventure.


Et même après la fin de l’émission, pas question pour TF1 de lâcher le morceau: divers albums, showcases, lancement d’une boutique en ligne vendant sweat-shirts (55 €), pantalons de jogging (40€) et t-shirts (30€) à l’effigie de son ancien-nouveau programme ainsi que l’ouverture du château de Dammarie-les-Lys au public, moyennant 20 euros l’entrée tout de même.


Retour vers le futur

Mais il n’y a pas que TF1 qui a décidé de remettre au goût du jour les succès d’autrefois. Intervilles, le célèbre jeu de France 2, fera son retour sur la chaîne du service public pendant l’année 2023, après une tentative avortée en 2020 pour cause de COVID. M6 fera également la part belle à la nostalgie des années 2000 en célébrant les vingt ans de deux programmes cultes de sa grille avec des primes événements: d’un côté la sitcom Caméra Café le 24 janvier prochain, de l’autre la Nouvelle Star.


Et si les chaînes ne se privent pas de recycler à l’envi leurs émissions phares des années 2000 ou d’avant, c’est avant tout pour des raisons économiques. Marie-France Chambat-Houillon, sémiologue et analyste des médias, explique que “reprendre un format qui a déjà eu du succès auparavant coûte moins cher à produire et que l’on est plus ou moins assuré du succès. Mais au-delà de cette dimension économique, on joue surtout sur le fait que la télévision a une programmation sérielle constituée de grands cycles.” La spécialiste de l’histoire de la télévision souligne surtout que le but principal de la télévision est de “rassembler des publics générationnels différents afin de pouvoir capitaliser dessus”. Car les chaînes privées fonctionnent essentiellement grâce à la publicité, dont les tarifs sont ajustés en fonction des audiences, globales mais aussi spécifiques à chaque cible (CSP+, FRDA-50, 25-34…).


Et s’il y a bien une autre manière pour les chaînes de télévision de créer des grilles de programmes à moindre coût, c’est en rediffusant à l’infini les séries les plus cultes du paysage audiovisuel, français ou mondial. L’une d’entre elles a notamment fait les belles heures de TF1, mais aussi TMC puis TFX : Friends. On ne compte désormais plus le nombre de rediffusions de la sitcom américaine référence, qui a fait connaître Jennifer Aniston et Courteney Cox.


Chaque dimanche sur TFX, ce sont plus de 8 heures de Friends (soit environ 18 épisodes) qui sont diffusées d’affilée (de 7h15 à 15h03 le 1er janvier, de 6h13 à 14h07 le 8 janvier et de 6h07 à 13h57 le 15 janvier), soit un tiers de la grille du dimanche dédiée à la série culte. Deux épisodes sont aussi diffusés tous les jours de la semaine, de 19h50 à 20h50. Ainsi, du 1er janvier au 22 janvier 2023, 98 épisodes de Friends ont été diffusés sur la chaîne du groupe TF1. Pour remplir leurs cases à moindre coût, les chaînes bénéficient en effet d’offres multidiffusion qui leur permettent à chaque achat d’épisode de pouvoir le rediffuser plusieurs fois sans surcoût (généralement 4 fois pour les séries sur TF1).


Pour ne pas gâcher ce bon filon, les produits dérivés de la série inondent les magasins, tous types confondus. Vêtements, vaisselle, cosmétiques : Friends a été décliné à toutes les sauces et pour tous les portemonnaies. Une exposition a même vu le jour à Paris, dans le pavillon 2 du Parc des Expositions de la Porte de Versailles. Ouvert depuis le 21 novembre 2022 chaque jour de la semaine, les allées du salon ne désemplissent pas. Les organisateurs ont même fait durer l’expérience plus longtemps, jusqu’au 16 février, un mois de plus que prévu. Pour ce qui relève du chiffre d’affaires réalisé grâce à la reproduction du mythique canapé orange de Central Perk ou le salon de Rachel et Monica, l’organisation reste toutefois vague : “Il y a eu plus de 100.000 billets vendus, c’est du jamais vu!”, nous indique t-on. Et à raison d’un départ de groupe de 50 personnes toutes les 15 minutes et à 25€ l’entrée (20€ pour les enfants), il n’est pas difficile de comprendre pourquoi le salon joue les prolongations.


Objets du quotidien, reliques d’hier

La télévision, les séries et le monde des médias ne sont toutefois pas les seuls à jouer à fond la carte de la nostalgie à des fins commerciales. Cette tendance se retrouve également dans les objets de consommation du quotidien. Et plus particulièrement du côté de la musique, où l’essor du streaming est certes exponentiel et dépasse tout ce qui peut relever du matériel, mais où les supports physiques ne se sont pour certains jamais aussi bien portés.


C’est notamment le cas des vinyles. Les fameux disques noirs ont dans toute leur histoire connu des hauts et des bas. Un temps adorés puis délaissés au profit des CDs, ils ont fait leur retour petit à petit dans les années 2000 pour devenir un véritable objet de collection, parfois possédé par des personnes qui n’ont même pas de tourne-disques (seul un acheteur de vinyle sur deux aux Etats-Unis possède une platine, d’après une étude de Luminate). Aujourd’hui, le vinyle a même passé un nouveau cap : en décembre dernier au Royaume-Uni, les ventes de vinyles ont dépassé celles des CDs pour la première fois depuis 1987. La raison de ce record : la sortie du dernier album de la chanteuse Taylor Swift, qui a écoulé 80.000 copies de Midnights, un record pour un vinyle sorti au XXIème siècle.


“On a besoin de se retrouver autour de l’objet”

Des marques ont ainsi senti le filon du vintage en musique et ont donc décidé de se lancer dans la réédition d’objets mythiques. C’est le cas de l’entreprise française We Are Rewind, qui a lancé récemment un walkman Bluetooth et à batterie. Un objet vendu 129 euros dont l’idée n’est pas venue de nulle part. Matthieu Mazières, co-fondateur de We Are Rewind, explique qu’en se renseignant sur le business de la nostalgie, lui et son ami ont constaté une hausse des ventes de cassettes, surtout aux Etats-Unis et en Angleterre. En effet, 129.000 cassettes ont été vendues outre-Atlantique en 2016 (+74% par rapport à 2015), puis 219.000 cassettes en 2018.


Outre-Manche, cela a été le même engouement avec 157.000 cassettes vendues en Angleterre en 2020, en hausse de 105 % par rapport à l’année précédente. Une aubaine pour les fondateurs de We Are Rewind: “Il n’y avait pas d’objet récent qui permettait d’écouter des cassettes. On s’est donc dit il y a trois ans qu’on allait créer un objet récent. On a retiré le système de piles, on a intégré un système Bluetooth. On a conservé la fonction ‘recording’ pour que les gens puissent faire des mixtapes. L’objectif était de créer un objet vintage tout en le remettant au goût du jour avec la technologie de maintenant.” Pour le design, on a voulu garder ce côté vintage, ces couleurs des années 80, un design épuré et un matériau de qualité”, explique Matthieu Mazières.


Et le succès a vite été au rendez-vous. Lancé fin 2022, les ventes se sont révélées encourageantes : “On a eu 1.100 précommandes il y a trois ans lors de l’annonce du projet et on vient seulement de commencer la mise en vente, notamment à cause du COVID. Depuis que l’on est livré et distribué un peu partout, on est à plus de 2000 ventes, pour une production de 5000 lecteurs. On a aussi fait un partenariat avec Renault qui nous a acheté 500 baladeurs, et qui sont en vente sur leur site et dans leur magasin des Champs Elysées”, s’enthousiasme le patron de We Are Rewind.


Si pour le moment, l’entreprise cherche à pérenniser son produit et le faire connaître à sa cible (“les 30/40 ans, ceux qui ont connu ça via leurs grands frères, leurs parents”), elle envisage également de développer d’autres produits, comme un baladeur d’entrée de gamme plus petit mais aussi un ghetto blaster. Un objectif qui reste atteignable selon Matthieu Mazières qui ne voit rien d’incompatible dans le renouveau des objets vintage à l’heure du streaming musical : “De plus en plus de gens aiment avoir un objet en main, ça a un côté rassurant. On ne va pas détrôner le streaming, c’est tellement pratique, on ne va pas remettre ça en cause. Mais à partir de la trentaine, on a besoin de se retrouver autour de l’objet. Tout est dématérialisé, le retour du manuel intéresse les gens.”


La question n’est ainsi plus aujourd'hui de savoir quels objets vont revenir au goût du jour, mais quand. Les spécialistes estiment que pour être nostalgique d’une période donnée, un laps de temps de 20 à 30 ans est nécessaire. Une autre façon de dire que peu importe l’époque, les consommateurs auront toujours un réel attrait pour le passé, et les marques l’envie de le satisfaire. Avec à la clé, l’assurance ou presque de créer un business bien dans l’ère du temps.


Découvrez l'enquête mise en page illustrée ci-dessous:


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