Associations, collectivités et gouvernements s’écharpent sans discontinuer depuis la création de Roissy. Des idées et projets où s’affrontent logiques environnementale et économique.
Nous sommes le 8 mars 1974. Pierre Messmer, alors Premier Ministre de Georges Pompidou, inaugure Roissy Charles de Gaulle. 65 ans après Orly, un nouvel aéroport voit le jour dans la région parisienne. Objectif : désengorger Orly et Le Bourget.
Mais Roissy devient rapidement le centre névralgique d’un des plus gros maux de ces dernières années : le bruit. Et les premières hostilités ont lieu en 1984. Des habitants de Montmorency se plaignent des nuisances sonores dues au trafic aérien, la ville étant pourtant loin d’être limitrophe à l’aéroport. George Savage, habitant du Val d’Oise, crée la première association de lutte contre les nuisances de Roissy. L’ADVOCNAR (Association de Défense du Val d’Oise Contre les Nuisances Aériennes de Roissy) souhaite peser dans le débat.
La zone de l’aéroport de Roissy, de 1950 à aujourd’hui (© Val d’Oise.fr)
Les débuts sont encourageants. L’État met en place une loi relative à l’urbanisme du voisinage des aérodromes et rend obligatoire l’instauration de Plans d’Exposition au Bruit (PEB) dans les zones proches des aéroports. Ces PEB offrent des mesures à court, moyen et long termes sur les infrastructures et la gestion du trafic. Un problème subsiste toutefois : les PEB ne prennent en compte que les zones fortement exposées au bruit et délaissent les zones aux nuisances moindres, qui continuent donc à se développer.
L’ajout de pistes, élément déclencheur des contestations
Au début des années 90, les premières manifestations ont lieu suite au projet de construction d’une troisième piste, qui fait suite à la forte augmentation du trafic aérien. Roissy est devenu un passage obligé dans le trafic de personnes et de marchandises, à l’échelle nationale, européenne et mondiale. Pour faire passer plus en douceur le projet, le gouvernement propose de décaler la piste à l’est et de pénaliser lourdement les avions trop bruyants. Un moindre mal quand on sait que le nombre de mouvements d’avions pourrait passer de 200 000 à 800 000 par an.
Finalement ce n’est pas une mais deux pistes qui sont annoncées pour pallier la saturation du trafic. D’après un rapport de l’époque, ce doublement des pistes doit améliorer la situation sur le plan du bruit. Les deux nouvelles pistes, plus courtes, seront réservées à l’atterrissage. Elles permettront d’éviter les embouteillages d’avions tournant au-dessus de certaines villes en attendant qu’une piste se libère et ainsi de répartir les nuisances. Le rapport approuve le report vers l’est, pour que les avions survolent moins longtemps, à basse altitude, les communes alentour. L’ajout des deux nouvelles pistes est validé en 1996.
Gayssot et l’économie avant tout
En 1997, Lionel Jospin nomme Jean-Claude Gayssot ministre des Transports. Il essaie d’abord de calmer le conflit lié aux nouvelles pistes et met en suspens le chantier, mais le redémarre quelques mois plus tard. Mais il impose une limitation du trafic à 55 millions de voyageurs et 495 000 mouvements d’avion par an. Les spécialistes s’accordent à dire que cette mesure n’est pas logique puisque ce sont les avions qui font du bruit, pas les passagers. La promesse n’est pas tenue longtemps. On comptait en 2019 plus de 500 000 mouvements aériens et 100 millions de passagers.
Les élus locaux jouent aussi un double jeu : d’un côté, ils s’allient aux habitants pour garder une bonne image ; de l’autre ils continuent d’accueillir les promoteurs immobiliers, augmentant le nombre de personnes subissant les nuisances aériennes. L’économie prime et la volonté des élus et du gouvernement est de faire rayonner la France via ce hub. Ils parient aussi sur l’amélioration des technologies. Matthieu Sineau, chef de projet à Bruitparif explique que “les avions deviennent de moins en moins bruyants. La baisse de 1 à 2% des décibels du bruit des avions permet de compenser 20 à 30% de trafic aérien en plus”.
Un combat sans fin
Face au poids économique de Roissy, difficile pour les opposants de peser dans le débat. Aujourd’hui, plus d’un million de personnes est impacté par les nuisances sonores de Roissy, de jour comme de nuit. Et même si le trafic n’a pas repris à 100% depuis la crise du COVID (au 1er trimestre 2022, on note 30% de vols en moins par rapport au 1er trimestre 2019), on ne note aucune tendance à la baisse des nuisances sonores.
En février dernier, la ministre Barbara Pompili a rejeté le projet de terminal 4. Un bref soulagement pour les habitants, sachant que le projet risque de revenir sur la table d’ici quelques mois.
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