De plus en plus d’athlètes de haut niveau s’expriment ouvertement sur leur santé mentale et les déconvenues liées à celle-ci. Les médias et leur impact sont souvent pointés du doigt mais la réalité est parfois beaucoup plus complexe.
31 mai 2021. Le monde du sport, en particulier du tennis, est sens dessus dessous. Naomi Osaka, à l’époque numéro 2 mondiale, se retire du tournoi de Roland Garros à cause de la pression. Quelques heures plus tôt, elle avait reçu une amende de 12.000 euros de la part de la fédération internationale pour ne pas s’être présentée en conférence de presse.
Dans une note publiée sur Twitter, elle explique que malgré la relative sympathie de la presse à son égard, elle n’est pas une oratrice naturelle. « J’ai de grandes phases d’anxieté avant de parler aux médias du monde entier. Je deviens très nerveuse et je trouve cela stressant de devoir toujours m’impliquer et vous donner les meilleures réponses que je puisse » a ajouté Naomi Osaka. Même si la tenniswoman se montre cordiale avec la presse, une peur des médias semble bel et bien ancrée en elle. Un fait qui ne relève pas d’un hasard inexplicable.
Ces troubles de la santé mentale sont parfois ancrés depuis longtemps et ne s’expliquent même pas. Naomi Osaka avoue elle-même, dans le documentaire que Netflix lui a consacré, ne pas être en mesure de mettre le doigt sur la raison de son mal-être. Même constat pour le tennisman français Benoît Paire, connu pour son caractère colérique et ses excès, qui a avoué consulter des psychologues et spécialistes pour comprendre les problèmes qui le rongent.
Plus récemment, c’est le footballeur gallois Gareth Bale qui a regretté le traitement de certains titres de presse, notamment du média anglais Daily Mail et de l’espagnol Marca, à son égard. Dans un tweet de mars 2022, l’international demandait à ces médias plus d’éthique et de professionnalisme. « À l'heure où des gens s'enlèvent la vie à cause de l'insensibilité et du côté impitoyable des médias, je veux savoir qui demande des comptes à ces journalistes et aux organes de presse qui leur permettent d'écrire des articles comme celui-ci » a écrit Gareth Bale. Il ajoute : « Heureusement, j'ai développé une carapace pendant toutes les années où j'ai été sous les projecteurs des médias, mais cela ne signifie pas que des articles de ce genre ne causent pas de préjudice et de dégoût, sur le plan personnel et professionnel. »
Santé mentale, problème central
Difficile toutefois de comprendre d’où vient cette peur générale des sportifs et sportives de haut niveau envers les médias et les journalistes. Une chose est sure, c’est que ce rejet ne date pas d’hier. La popularisation du sport s’est faite grâce aux médias et c’est grâce à eux que le sport est devenu un élément aussi enraciné dans notre culture et notre patrimoine. Jusqu’en 1948, date de la première retransmission sportive en télévision, les médias ne se réduisaient qu’à la presse écrite ou la radio. Aujourd’hui ce sont la télévision et surtout les réseaux sociaux qui jouent un rôle prépondérant dans la médiatisation du sport en France et dans le monde.
C’est au début des années 2010, avec les nageurs Ian Thorpe et Michael Phelps, que les premiers témoignages de sportifs sur la santé mentale commencent à arriver. Aujourd’hui, plusieurs études et travaux ont montré que les problèmes psychologiques affectaient de plus en plus de sportifs. D’après une étude de 2020 du désormais dissous collectif Ethique et Sport, « entre environ 80% et 90% (dont entre environ 20% et un tiers de façon fréquente) se sentent directement concernés par au moins une des situations suivantes : manque de force ou d'énergie (89%), sentiment de tristesse (88%), nervosité/anxiété (86%) manque de confiance (86), ramollissement (81%). » L’étude avait rassemblé les témoignages de plus d’un millier de sportifs, dont 43% étaient de haut niveau ou professionnels.
La mode du clic et du buzz
Et depuis de nombreuses années et en particulier avec l’arrivée d’Internet, les médias se voient souvent reprocher une incessante quête d’audience et de clics. Une volonté d’attirer les lecteurs, téléspectateurs ou auditeurs vers leurs programmes ou sites en proposant des contenus destinés au partage et aux commentaires. C’est notamment le cas des articles proposant des notes des joueurs après les matchs - articles qui récoltent parfois dix fois plus de commentaires que les articles recensant quelques statistiques ou images du match -, essentiellement de football, ou des débats dans les émissions spécialisées (là aussi souvent concernant le football). Ces contenus, caractérisés par une subjectivité assez marquée des journalistes qui les produisent ou qui y participent, engendrent des réactions par centaines, voire milliers selon le sujet.
Exemples de tweets qui critiquent le traitement médiatiques de certains journalistes de sport (Captures d'écran)
En proposant du contenu destiné à produire de la réaction et de l’audience, certains sportifs voient donc dans les médias des relais plus forcément adaptés à leur communication ou des diffuseurs de contenus moins qualitatifs qu’auparavant. Il y a aussi la peur des questions qui fâchent, comme l’explique Sacha Nokovitch, journaliste de la rubrique médias de l’Équipe : « Les sportifs préfèrent aujourd’hui faire une publication sur Instagram et surtout avoir un discours carré, maîtrisé plutôt que de faire un direct où il pourrait y avoir cette mauvaise petite phrase qui peut ruiner une image. Tout est ficelé au niveau de la communication. »
Clémentine Rebillat est quant à elle plus nuancée sur le sujet. La journaliste de Paris Match, ayant beaucoup travaillé sur la santé mentale des sportifs de haut niveau, confirme que « les sportifs sont de plus en plus méfiants des médias. Ils n’en ont plus besoin avec les réseaux sociaux. » Mais elle tient tout de même à souligner que cela reste un exercice de communication complètement différent : « l’écho sera le même mais ça ne sera pas amené pareil. L’émotion ne sera pas la même. Un vrai bel article met plus en avant ce que la personne veut raconter. Certains sports sont plus propices à critiquer les médias mais ceux dont on parle que tous les 4 ans pour les Jeux Olympiques adorent nous parler. Les footballeurs s’en foutent. Ils se font parfois trahir » explique la journaliste.
Une approche à revoir ?
Une question se pose alors : pour rétablir des relations plus saines, les médias doivent-ils changer leur approche envers les athlètes ? Éviter les sujets qui fâchent, être dans l’écoute des sportifs et sportives, ne pas insister pour obtenir l’information souhaitée, rester dans un discours neutre ? Sacha Nokovitch estime que cela serait une erreur : « Si on commence à se plier aux coups de gueule ou mécontentements d’un joueur parce qu’il estime avoir été mal noté ou ne pas mériter une telle critique sur un plateau télé, à ce moment là on ne fait plus rien, on fait de la communication. Ceux qui achètent un journal ou regardent une émission pour de l’analyse, s’ils partent du principe qu’on est prudent car on veut faire plaisir à un joueur que l’on connaît ou une star que l’on veut avoir en interview, ils vont zapper. »
Les débats, dans 'l'Équipe du soir' ou dans l''After Foot' de RMC, sont souvent sujets à des critiques. (© La Chaîne l'Équipe / RMC)
L’autre vrai problème qui se pose est sur qui se porte la responsabilité au sein des médias : sur le média dans sa globalité ou sur un journaliste en particulier ? Pour Clémentine Rebillat, ce n’est pas non plus aux médias de changer leur approche mais bien aux journalistes : « Le média en lui-même n’éloigne pas les sportifs, ce sont les passifs qu’ils ont avec les journalistes, notamment ceux qui ont pris la grosse tête. On oublie que les sportifs sont stressés et n’ont pas forcément envie de répondre en permanence à des questions. Si on ajoute à ça des journalistes qui arrivent avec leur égo et leur boulard, sans laisser parler ou être compréhensif, forcément ça ne peut plus marcher. »
Pas question donc pour les médias de se remettre en question, se sachant nécessaires au bon développement du sport à l’échelle nationale voire au-delà et surtout permettant aux athlètes de bénéficier d’une visibilité. La médiatisation amène les sponsors, la diffusion à la télévision et donc d’une manière générale l’argent.
Les médias pas seuls responsables
Mais outre ce discours corporate de la profession, on peut constater que les médias ont tout de même une part de responsabilité dans ces problèmes de santé mentale rencontrés par les athlètes ces dernières années. Ils font partie d’un grand ensemble composé de plusieurs variables qui, mises bout à bout, entraînent les sportifs de haut niveau dans une spirale souvent infernale dont peu arrivent à se dépêtrer définitivement. D’abord, les sportifs et sportives de haut niveau font face à une pression exacerbée de la compétition et du résultat en général. Une volonté d’aller toujours plus loin, plus vite, plus haut, qui pousse les nerfs à rude épreuve quand on sait que sans résultats extraordinaires, il y a peu de chances d’être reconnu, soutenu et de pouvoir vivre de sa passion.
Cette pression alliée au poids de l’entourage mais aussi des réseaux sociaux va constituer un cocktail choc qui ne peut avoir d’effets positifs sur le long terme. Une sollicitation permanente qui serait plus vraisemblablement la cause du mal-être profond que ressentent certains athlètes selon Alexis Ruffault, chercheur en psychologie à l’Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance : « Il n’y a pas d’impact direct des médias sur les sportifs. Ce qui pose souvent problème ce sont les sollicitations, des médias mais aussi d’autres personnes. Le fait d’être sur-sollicité va être un facteur de risques car cela entraîne du stress et empêche les activités de détente. Les sollicitations au sens large vont amener vers des troubles de la santé mentale. »
La sphère médiatique participe donc à alimenter le mal-être qui touche certains athlètes de haut niveau, en positionnant parfois le buzz ou le scoop au-dessus du respect. Il faut toutefois appuyer que sans médiatisation, la majorité des sportifs et sportives ne pourraient exercer leur métier comme ils le font aujourd’hui. Une remise en question est donc peut-être nécessaire des deux côtés afin de permettre à chacun d’évoluer sur des bases plus saines et profitables à tous, surtout à l’aube des Jeux Olympiques de Paris 2024, où les athlètes tricolores, mais aussi du monde entier, seront scrutés de tous les côtés.
Ces documentaires à regarder si le sujet vous intéresse :
'The Weight of Gold' (HBO)
Le documentaire s’intéresse à la santé mentale des sportifs des Jeux Olympiques avec plusieurs interviews, le tout raconté par le champion de natation Michael Phelps.
Disponible sur l’Équipe Explore
'Silence je tombe' (BeinSports)
Une rencontre avec quatre anciens footballeurs professionnels : Robert Pirès, Patrick Guillou, Damien Perquis et Yoan Cardinale, qui explorent tour à tour le fléau de la dépression dans le milieu du football.
Disponible sur Youtube
'La Quinzaine de la Haine' (L’Équipe)
Un documentaire d’une quinzaine de minutes sur l’impact des réseaux sociaux pendant la quinzaine de Roland Garros. Des rencontres avec plusieurs figures du tennis mondial dans les allées du tournoi parisien qui parlent de leur rapport avec les réseaux sociaux, avec surtout une rencontre entre Pierre-Hugues Herbert, joueur français, avec un de ses haters qui n’a cessé de l’insulter sur Twitter.
Disponible sur l’Équipe Explore
'Naomi Osaka' (Netflix)
La championne de tennis y raconte son enfance, comment elle tente de gérer la pression de haut niveau et les périodes dépressives
qu’elle a connues.
3 épisodes, disponible sur Netflix
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