Après avoir passé 16 années sur la chaîne d’informations en continu LCI, la journaliste Valérie Expert officie depuis presque six saisons sur Sud Radio dans une quotidienne de deux heures où elle parle médias mais aussi d’actualité. Engagée, franche et passionnée, elle nous parle de son métier, de ses débuts et de sa vision de la société actuelle. Entretien avec une addict à l’info.
Comment avez-vous décidé de devenir journaliste ?
Valérie Expert. C’est arrivé tout à fait par hasard. J’ai fait une maîtrise de langues étrangères appliquées. J’aimais bien le métier de traductrice, je faisais beaucoup de stages, je suis rentrée dans des agences de relations publiques. En clair, je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire. Je n’ai pas une formation classique de journaliste, je n’ai pas fait d’école de journalisme. Mon mari (NDLR : Jacques Expert, journaliste et écrivain) était à l’époque grand reporter pour Radio France et nous sommes partis vivre à Vienne en Autriche parce qu’il était chargé de couvrir l’actualité des pays de l’Est. Et comme je suis née au Canada, j’ai commencé à faire des papiers pour Radio Canada sur l’actualité dans ces pays. C’est donc un peu venu comme ça. Et puis quand je suis revenue en France, j’ai travaillé avec Christine Bravo, qui est une amie. J’ai commencé par Frou Frou, qui était une émission de divertissement mais j’avais quand même plus cette fibre journaliste que les autres puisque je faisais la revue de presse. Je me suis laissée porter par les choses et elles se sont faites petit à petit avec ensuite la présentation de ma propre émission qui s’appelait Parole d’Expert sur France 3, qui était aussi entre le divertissement et l’information. Je suis vraiment devenue journaliste en arrivant à LCI en 2000. D’ailleurs, je ne pense pas que l’on « devient » journaliste, on l’est au fond de soi. C’est une question de curiosité, pas d’études ou de carte de presse. Un parcours atypique donc, mais surtout des rencontres.
Est-ce-que plus jeune vous vous intéressiez déjà à l’actualité et à la politique ?
Oui complètement. Déjà jeune, je lisais beaucoup de journaux. J’ai été élevée dans une maison où il y avait beaucoup de livres, en partie puisque mon père était professeur de français. Mais je n’avais pas imaginé en faire un métier, jusqu’à assez tard. J’étais attirée par la communication, les relations publiques. Je n’ai pas du tout rêvé d’être journaliste.
Quel est le moment de votre carrière qui vous a le plus marqué ?
Je pense que d’une manière générale, LCI a été un moment important car ça a été du journalisme pur. Ce que j’ai fait avant, comme dans Parole d’Expert, j’ai adoré le faire. Mais à LCI, j’étais dans une chaîne d’infos et c’est là où j’ai passé un cap, que je traitais de sujets de société importants, comme l’avortement. Ça a été une période très heureuse dans ma vie. J’ai eu beaucoup de chance dans toute ma carrière car j’ai toujours été assez libre, sans jamais avoir trop de contraintes mais LCI a été le déclic.
Quelles personnalités vous ont inspiré lorsque vous avez débuté ce métier ?
J’admirais et j’admire toujours Arlette Chabot, c’est une journaliste formidable. Elle a cette belle carrière de quelqu’un qui ne s’est jamais renié. Christine Bravo a été très formatrice, en partie car elle était assez stricte. Les gens trouvaient l’émission sympa et amusante mais c’était beaucoup de préparation, on mettait parfois deux, trois jours à écrire un papier. C’était très formateur dans les conseils qu’elle donnait. Jean-Pierre Pernaut avec qui j’ai travaillé pendant un an a aussi été beaucoup dans le partage.
Et est-ce-qu’il y a encore des personnalités qui vous inspirent ?
J’aime beaucoup Amélie Carrouer sur LCI le week end. C’est une jeune femme qui a énormément de tact, de maîtrise d’elle. Elle pose les questions de façon calme et déterminée. Elle fait un vrai travail de journaliste très intéressant et maîtrisé. J’aime bien aussi David Pujadas et la façon dont il mène ses interviews. Pascal Praud dans son genre a aussi réussit quelque chose, à imposer un ton un peu différent.
Est-ce-qu’on arrive à prendre du recul lorsque l’on parle tous les jours d’actualité, souvent anxiogène ?
Il y a deux choses : d’abord c’est vrai qu’il y a eu une actualité qui a été très redondante, le COVID et on en avait ras le bol. Cela a été insupportable au bout d’un moment. Il y avait des matins quand je préparais l’émission où il y n’avait rien qui nous emballait.
Mais je reste quand même une accro de l’information. Jean-Pierre Pernaut me disait qu’il coupait pendant ses vacances. Moi je ne peux pas, j’ai besoin d’avoir mon ordinateur, mon téléphone et mes dépêches AFP. Je ne peux pas me passer de l’actualité. J’aime vraiment ça et il y a un côté addictif à lire les articles. Twitter a beaucoup changé la donne d’ailleurs car aujourd’hui je me sens presque intoxiquée aux informations, à actualiser en permanence mon fil d’actualités. J’ai du mal à décrocher. L’actualité au quotidien m’intéresse, la traiter au quotidien parfois est un peu lassant.
Vous diriez qu’il y a une lassitude à présenter une quotidienne ?
Oui et non. Les sujets se renouvellent quand même. Cela dépend surtout des interlocuteurs que j’ai en face de moi. Il y a des jours avec et des jours sans. Je continue de m’amuser pour l’instant et c’est le plus important. C’est assez rare que je dise en sortant de l’émission que je me suis ennuyée.
Est-ce plus dur de préparer une émission quand il y a trop d’informations ou quand il n’y en a pas assez ?
C’est définitivement plus dur quand il n’y en a pas assez. Quand il y en a trop, on liste et on privilégie. Il y a de la frustration mais on le fait. Quand il y en a pas assez, c’est plombant. Avoir des sujets qu’on sait avoir déjà fait c’est aussi lassant. On a des marronniers bien sûr, mais globalement les sujets sont assez variés. J’aime aussi changer de sujet au dernier moment pendant l’émission et bouleverser le conducteur en profitant de ce qu’apportent les débatteurs pour partir sur un sujet qu’on n’avait pas prévu. Dans une actualité super foisonnante, il y a peut être quelque chose que je n’avais pas vu.
Est-ce-qu’une émission sur l’actualité peut aujourd’hui se faire sans débat ?
Je trouve ça très triste mais non. C’est dommage. Après c’est une question d’économie : cela coûte moins cher voire rien du tout d’avoir des éditorialistes en plateau que de préparer une émission avec des spécialistes, ce qui demande des gens derrière qui cherchent, enquêtent et trouvent les bonnes personnes.
Et pourtant aujourd’hui vous animez chaque jour un débat…
Oui c’est vrai. J’étais la seule à le faire à une époque avec des spécialistes qui venaient pour des sujets très divers : l’éducation, la santé, la justice… Et à un moment on en a eu marre et on a décidé de changer et de faire avec des éditorialistes. J’étais à l’époque la seule à faire ça et puis après c’est devenu la norme. C’est la négation du journalisme. Les mêmes qui commentaient le COVID il y a quelques mois commentent la guerre en Ukraine aujourd’hui. Cela devient n’importe quoi.
Vous avez travaillé en radio, en télé, en presse écrite. Est ce que votre façon de travailler a changé selon le média ?
J’ai toujours travaillé de la même façon. On ne travaille forcément pas pareil quand on écrit un papier que quand on prépare une émission mais la base reste la même : il faut lire. C’est important. Je suis toujours étonnée quand les gens que je reçois sont surpris que j’ai lu leur livre ou vu leur film ou série. Ils sont épatés vu le nombre de fois où personne ne l’a fait. Je ne peux pas interviewer quelqu’un si je n’ai pas vu ou lu leur travail. Travailler le fond est le plus important, la forme importe peu.
Quel est le devoir numéro 1 du journaliste en 2022 ?
Être curieux. Écouter tous les avis. C’est vrai que c’est compliqué aujourd’hui avec les réseaux sociaux où on peut se demander pourquoi untel aurait plus raison qu’untel. On rentre après dans le débat du mainstream à se demander s’il y a une pensée dominante. L’honnêteté intellectuelle est aussi essentielle, être honnête avec soi même et le public, être convaincu de ce que l’on dit. Pendant le COVID, on a eu par exemple des personnes vaccinées qui ont « excité » les antivax, ce qui n’était pas la meilleure chose à faire.
Est-ce-qu’un journaliste doit être neutre ?
Non. Tout dépend de l’exercice bien sûr. Mais on n’est jamais complètement neutre. Même au JT, quand on choisit les sujets, il y a un choix donc ce n’est pas neutre. Les auditeurs reprochent souvent qu’on ne soit pas neutre mais quand on anime un débat, on ne peut pas l’être.
Neutre ne veut pas dire grand chose, personne ne l’est. Le plus important c’est de savoir prendre du recul pour interroger quelqu’un, savoir apporter de la contradiction même si on est d’accord. La neutralité pour moi c’est arriver à se se sortir de ses propres opinions pour arriver à poser des questions qui ne vont pas forcément dans le sens de l’invité.
Comment doit-on aborder les réseaux sociaux quand on est journaliste ? Comme un outil ou comme une menace ?
Ce n’est pas une menace. Je m’en sers pour regarder la diversité des opinions, des sources, ce qui peut se dire d’un côté comme de l’autre. Twitter fait partie du processus. Car on a des extraits, des papiers du monde entier. C’est une source d’information intéressante et importante mais il faut savoir faire le tri entre le vrai et le faux. C’est peut être là le boulot du journaliste finalement. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui une information lancée par une personne peut prendre des proportions énormes. Surtout ce qui est dangereux c’est quand on voit le rapport qu’ont les auditeurs avec ces réseaux sociaux. Ils en font parfois leur unique source d’information. Ce qu’ont changé les réseaux sociaux, c’est que tout le monde s’exprime. C’est une grande jungle, un vrai far west et il est maintenant trop tard pour réguler tout cela.
Est-ce-qu’on peut encore lutter contre les fake news ? Comment ?
Encore une fois, je pense qu’il est trop tard. On est complètement dépassé par cela. Ça va sans doute s’accentuer dans le temps d’ailleurs. La seule solution c’est la formation, expliquer à la population comment une fake news nait, comment les démasquer. Mais je suis assez pessimiste. Je le vois par rapport aux réactions des auditeurs qui me dépriment énormément. Ils savent mieux que les chercheurs ! Dernièrement j’ai vu une jeune femme expliquer que le vent qui venait du Sahara il y a quelques jours comportait des particules aimantées qui fonctionnaient avec le vaccin. C’est dingue. On se demande comment les gens peuvent croire ça.
Est-ce-que la crise sanitaire ou désormais la guerre, ont changé le métier de journaliste ?
Il y a plusieurs choses. D’abord, je pense que les gilets jaunes ont été aussi un tournant avec tous ces gens qui ont maintenant un portable et qui pensent qu’avec simplement cet objet, ils peuvent être journalistes. On le voit d’ailleurs aujourd’hui avec la guerre en Ukraine : il y a un nombre de gens qui sont partis là-bas pour faire du reportage. C’est un vrai danger. Je ne suis pas corporatiste, je n’ai pas de diplôme de journalisme mais il faut quand même un minimum d’expérience pour aller sur des terrains comme ceux-là.
Sur le COVID, il y a un autre phénomène intéressant c’est tous ces médecins qui se sont pris pour des journalistes. La crise sanitaire a beaucoup impacté la défiance envers les journalistes. Ça n’a pas du tout aidé. On nous prend pour des colporteurs de fake news ou des personnes à la solde de Macron. Je me suis faite traitée de macroniste car je suis pro vaccin. Le vaccin était devenu politique. Mais ce qui me fait presque plaisir, c’est que je me fais traiter autant de macroniste que de gauchiste.
Est-ce-que l’interview est le plus bel exercice du journalisme ?
C’est la base du métier c’est vrai. Mais il y a aussi des journalistes qui font par exemple uniquement des éditos et qui sont de petits bijoux d’écriture et de pensée. Pour d’autres ça va être le reportage, et donc ça implique des interviews. Le journalisme c’est aller vers l’autre et découvrir ce que l’autre a dans le ventre. J’aime bien ces quarts d’heure dans mon émission où je peux choisir des gens que j’aime et qui m’intéressent. Même s’il faut quand même avoir le sens du public et savoir ce qui peut les intéresser.
Je déteste par contre les interviews « promo ». Quand on reçoit un animateur télé ou un acteur pour qu’il vienne vendre sa soupe. Évidemment tout le monde vient faire sa promo quand on les interroge. Mais avec les comédiens, on revient souvent aux mêmes questions et les réponses sont rarement intéressantes. Ou alors il faut des personnalités très fortes, et il n’y en a plus beaucoup.
Quel va être l’enjeu crucial des journalistes à l’aube des élections présidentielles ?
Arrêter de rester sur les petites phrases. Quand on voit que Cyril Hanouna fait plus d’audience que le service public, ça interroge sur l’avenir de l’information, du débat et de la société d’une manière générale. Aujourd’hui ils veulent plus de show, y compris les candidats à la présidentielle. Il faut aller dans la punchline.
On sait pourtant que les audiences sont capitales dans le monde audiovisuel…
L’audience n’est pas forcément gage de qualité. Aujourd’hui ce qui marche, c’est le show, le scandale, c’est aller à contre courant de ce qu’il se dit et de ce qui est la raison. Mais c’est assez éphémère je pense. Preuve avec la chaîne RT France qui a fermé du jour au lendemain.
On a vu des journalistes s’engager en politique ces dernières années, est-ce-que cela pourrait être votre cas ?
Non. Ce n’est pas du tout un milieu qui m’attire. C’est très dur. Ceux qui sont passés de l’autre côté étaient souvent des journalistes politique ou des éditorialistes, ce qui n’est pas mon cas. Mais gardez cette phrase au chaud au cas où Macron m’appelle ! (rires)
Propos recueillis le 18 mars 2022 à Paris.
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