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Flashback. Paris Match et une certaine idée des femmes journalistes de sport…

Dernière mise à jour : 23 juil. 2022

En 2016, le magazine Paris Match offre à ses lecteurs et lectrices une vision plus que stéréotypée du journalisme sportif. Un photoshoot d’une dizaine de femmes journalistes de sport qui a créé la polémique à sa sortie.

À l’approche de l’Euro de football 2016 en France et des Jeux Olympiques de Rio, le magazine Paris Match décide de mettre à l’honneur les femmes journalistes de sport qui seront sur les écrans pendant les prochaines semaines. La rédaction publie donc le 7 mai 2016 « Sports à la télé : les femmes à l’abordage », une série de photos, issue d’un shooting réalisé en amont, de plusieurs figures emblématiques du paysage audiovisuel français. Sous la direction du photographe Vincent Capman, les différentes journalistes sont mises en scène non pas en train de travailler, sur leurs lieux de travail, en tenues « casual » mais en robes de soirée, perchées sur des talons aiguilles sur les Colonnes de Buren du Palais Royal ou sur des manèges du Jardin d’Acclimatation. Les journalistes du service public comme Clémentine Sarlat, Céline Giraud ou Claire Vocquier Ficot ont même eu la chance de prendre le large sur un bateau de plaisance.


Tenues de gala et commentaires douteux

Décolletés plongeants, robes de cocktail et talons aiguilles, tous les clichés de la femme qui doit user de ses charmes pour être montrée à l’écran sont bien là. Le message est presque clair : sans un physique parfait (même si ici retouché sur Photoshop), impossible de se voir offrir une place dans les médias télévisés. Dans l’article associé aux photos, certaines phrases font d’ailleurs tiquer. « Deux exemples de cette nouvelle génération de journalistes sportives qui allient charme et professionnalisme. » Synonyme donc que les femmes journalistes de sport doivent charmer leur monde, par rapport à leurs homologues masculins, qui eux doivent simplement se montrer professionnels. Les auteurs se sont également permis une touche d’humour : « Sûres de leur talent, elles n’hésitent pas à recadrer ceux qui tenteraient de les limiter à leur physique. » Cocasse quand on regarde les photos de l’article (voir diaporama ci-dessous).


Et pourtant l’objectif initial du magazine était pourtant louable : mettre en avant la réussite de toutes ces femmes, de leurs parcours et de toutes les évolutions notables que le milieu a eu. Les femmes journalistes de sport avaient en effet le vent en poupe à cette époque. De nombreuses émissions de sport étaient présentées par des femmes, que ce soit sur les chaînes privées ou sur le service public, comme « Touche pas à mon sport » (Estelle Denis) sur C8, « Canal Football Club » (Marie Portolano) et « Canal Rugby Club » (Isabelle Ithurburu) sur Canal+ ou « Automoto » (Marion Jollès Grosjean) sur TF1.


« On a toutes aimé se sentir belles pour ce projet »

Les huit pages de clichés ont bien créé le malaise après publication, du lectorat de Paris Match mais également des principales intéressées. Buzzfeed a notamment interrogé toutes les journalistes présentes pour réagir à la polémique qui a suivi. D’un côté, les réponses anonymes, plutôt critiques à l’égard de ce shooting : « Je ne me reconnais pas dans cette mise en scène. Je ne suis pas une poupée Barbie en jupette et talons hauts, même si je suis une fan de talons hauts! Je suis journaliste, au même titre que mes confrères. Confrères que j'aurais aimé voir à mes côtés en queue-de-pie… J'ai découvert le jour J les tenues... J'aimerais que l'on salue notre présence en nous traitant comme tout autre journaliste, pas en nous mettant en scène comme ça. » ou « Ces photos sont de mauvais goût et incroyablement sexistes. ». De l’autre côté, les journalistes ayant répondu à la polémique publiquement, comme Charlotte Namura : « Comment ces gens auraient aimé qu'on soit ? Oui, on peut être féminine ET réussir une carrière dans un milieu masculin. Et on a toutes aimé se sentir belles et mises en beauté pour ce projet. » ou France Pierron : « Ça me choque que cela puisse être mal perçu ! C'était un super souvenir pour nous toutes, pour en avoir parlé avec un peu toutes les filles. Alors oui, forcément ça fait plus parler que si on avait réuni tous les journalistes hommes, tous en costume mocassins, c'est pas le même effet ! Les nanas, quel que soit notre métier, ça met des robes et des talons et du maquillage ! Je vois pas où est le mal, on ne va pas s'enlaidir pour être crédible ? ». Du côté de Paris Match, l’auteur de l’article qui accompagnait les photos a également plaidé la mise en valeur des journalistes : « Féminité, professionnalisme et compétences ne sont pas incompatibles. L'idée des photos était de les mettre en valeur. »


Rétropédalage quelques années plus tard

Mais si en 2016, la plupart des journalistes présentes sur le shooting s’accordaient à dire que les photos ne posaient pas de problèmes, l’avis était tout autre en 2020. Dans le documentaire « Je ne suis pas une salope, je suis journaliste » de Marie Portolano et Guillaume Priou, l’ancienne journaliste de Canal+ revient avec ses consoeurs sur le photoshoot. Toutes sont unanimes. « J’ai détesté cette séance photo » affirment Clémentine Sarlat et Estelle Denis, Charlotte Namura la décrit comme « l’enfer ». « Je la [cette photo] déteste » lâche Laurie Delhostal, même dégoût pour Isabelle Ithurburu qui évoque ce « pire souvenir » et cette « honte ». Les différentes journalistes ne comprennent toujours pas le sens de cette séance.

Marie Portolano a décidé de remontrer aux journalistes le shooting photo dans le documentaire "Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste" (© Canal+)
Marie Portolano a décidé de remontrer aux journalistes le shooting photo dans le documentaire "Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste" (© Canal+)

Au final, cette séance photo n’aura été qu’une transposition de l’imaginaire collectif de ce que doit être une femme dans le milieu du journalisme sportif pour exister. Une image rétrograde et sexiste qui pose la question de la place des médias dans le journalisme de sport. Les femmes sont-elles présentes pour leur physique ou parce qu’elles en ont les compétences ? Depuis l’ère Me Too, la réponse semble aller vers la compétence accrue de ces femmes journalistes mais difficile encore aujourd’hui d’écarter toute idée stéréotypée.

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